Bref mais intense retour au pays pour Ang Lee avec Se, jie [Lust, Caution] - qu'on pourrait traduire en français par "Désir, prudence". Histoire d'espionnage placée au beau milieu de la Chine des années 30/ 40, ses promoteurs ont d'abord mis en avant ses scènes sexuelles très explicites qui lui ont d'ailleurs valu le classement NC-17 aux USA. Mais comme le thème de l'homosexualité pour le précédent film d'Ang Lee (Brokeback Mountain), le film ne se résume pas à ces dix minutes de galipettes (même si l'on avance le chiffre de 100 heures de tournages nécessaires pour ces quelques passages) Non, Se, jie raconte brillamment d'abord le parcours d'une bande de jeunes justes, étudiants idéalistes qui plongent dans une guerre qu'ils croient simple, propre, pour sombrer corps et âme dans la confrontation avec un homme de pouvoir trouble et sans pitié, mais toujours homme. L'amour, calque sublimé de leurs émotions, suit aussi cette épopée pour participer à ce magnifique naufrage. Une oeuvre noire sur l'ambigu et les illusions perdues qui marque une belle étape de plus pour Ang Lee.
Chine, fin des années 40. Alors que les troupes japonaises envahissent peu à peu le pays, certains collaborent avec l'envahisseur, d'autres résistent contre l'occupation.
Wong Chia Chi (Wei Tang), jeune étudiante, entraînée par le pur et séduisant Kuang Yu Min (Leehom Wang), est elle définitivement du côté des derniers, tout comme leur troupe de théâtre.
Avec leurs camarades, ils décident après un spectacle de soutien aux troupes chinoises de passer à l'action et de supprimer Mr. Yee (Tony Leung, toujours aussi excellent), l'un des principaux agents de Wang Jingwei, dirigeant alors le gouvermenent fantoche collaborant avec les japonais.
La troupe se rend donc, sans autre moyen que les leurs à Hong-Kong, où Mr. Yee est retranché dans une villa fortement défendue, et entreprennent de pénétrer ses défenses.
Wong Chia Chi seule semble en mesure de le faire et tente de le séduire sous l'identité de Mrs. Mak, femme de négociant.
Vierge mais confrontée à la possibilité de devoir coucher avec Yee, elle se voit forcée d'acquérir de l'expérience avec l'un de ses camarades, Liang Junsheng (Lawrence Ko), malgré l'attirance réciproque qu'elle ressent pour Kuang Yu Min. Un premier sacrifice pour la cause, une première désillusion pour les idéaux romantiques de tous qui en augure d'autres plus sombres, plus terribles...
La descente aux enfers de Wong Chia Chi est donc le fil suivi par Ang Lee pour décrire cet apprentissage de la vie de la bande de jeunes. Wei Tang, qui incarne avec talent le personnage, joue parfaitement l'adolescente naïve qui passe de sacrifice en renoncement, espionne, actrice, amante, femme fatale à la poursuite d'un objectif dont elle n'est finalement plus certaine qu'il en vaille la peine.
Face à elle, Tony Leung (Hero, Internal Affairs, In the Mood for Love, Une Balle dans la Tête...il aura décidément tourné avec tous les plus grands), l'un des meilleurs acteurs chinois de sa génération, campe parfaitement un personnage cynique et froid qui s'ouvre imperceptiblement, malgré lui, à une passion frénétique. Le jeu, tout en retenue et en équilibre est bien maîtrisé jusque dans les fameuses scènes chaudes, qui rajoutent incontestablement une vraie dimension au film, rendant palpable la fusion progressive et inexorable entre Wong Chia Chi et Mr. Yee.
Fort heureusement, les quelques 2h15 de film restantes regorgent également de scènes marquantes ciselées où chaque acteur à la chance de pouvoir fournir une véritable consistance à son personnage.
Scène de jeu de Mah-Jong avec dialogues à double signification, visite du quartier japonais de Shangaï, explication des états d'âme de Wong Chia Chi vis à vis du responsable de sa cellule... même si Ang Lee fait parfois un peu traîner l'action dramatique au profit de la description des lieux, la finesse du réalisateur fait merveille.
Rien n'est gratuit, que ce soit dans les décors, les personnages - de la star au figurant -, les mimiques, les dialogues.
Le spectateur, transporté dans le Hong-Kong et le Shangaï de la seconde guerre mondiale, est bien avec cette équipe de jeunes activistes en herbe en route pour leur destin. Il partagera avec eux le rêve comme l'amertume, jusqu'au bout.
Merci Ang Lee!
Note: 15,5/20