Et un film sur la guerre du Vietnam, un! Sur une histoire pas vraiment originale, l'évasion d'un pilote américain tombé entre les mains des forces vietnamiennes lors d'une mission de bombardement au Laos. Pas de quoi s'exciter a priori, si ce n'est la signature à la réalisation, promesse d'un éclairage qui sortira des normes: Werner Herzog, le créateur (entre autres oeuvres) d'Aguirre et de Fitzcarraldo, aventures dans lesquelles la jungle passe de décor à acteur principal, comme on pourrait s'y attendre pour Rescue Dawn. En cerise sur le gâteau, une vedette hollywoodienne dans le haut du panier dans le rôle du pilote en question, Christian Bale, alors entre deux Batman*. Alors, le mélange Herzog-Hollywood, ça prend?
Le sujet en question, Herzog le connaît déjà bien: il a tourné en 1997 un documentaire intitulé Little Dieters Needs to Fly, dans lequel il racontait l'épopée de Dieter Dengler, pilote US d'origine allemande capturé au Laos en 1966.
Rescue Dawn reprend cette aventure, pose des visages sur les noms, des images sur les mots.
Ici, Dieter Dengler, c'est Christian Bale, qui perdra un nombre de kilos impressionnant au fil de l'intrigue. Abattu dès sa première mission au-dessus du Laos, il est rapidement capturé, et après de sommaires mais efficaces tortures, envoyé dans un petit camp perdu dans la jungle.
Il trouve là quelques prisonniers faméliques qui ont tous perdu au moins en partie la raison. Plus débrouillard et dans un meilleur état moral et physique que ses co-détenus, il les pousse à monter une évasion contre des gardiens intraitables et dans un environnement terriblement hostile.
L'intrigue en elle-même est classique. Son intérêt réside essentiellement dans le fait qu'elle est basée sur une histoire vraie - même si on y sent la patte des scénaristes made in Hollywood. Elle contient donc des éléments, des détails qui la rendent plus vraisemblable, voire véridique que la plupart des films de second ordre sur le sujet.
S'ajoute à ce matériau de qualité initial le regard d'Herzog. Le réalisateur allemand s'intéresse bien plus aux hommes et à la nature - et pas forcément dans cet ordre-là - qu'à la politique. Aussi, pas de lecture stratégique ou de babillage sur les torts des uns et des autres. Herzog pénètre au coeur des hommes par l'intermédiaire des relations d'individu à individu, et grâce à ce regard réussit à transmettre la folie créée par l'enfermement et les privations à l'écran.
Notons à ce sujet les interprétations remarquables des camarades de Bale, parmi lesquels Steve Zahn (qui joue Duane) et Jeremy Davies (Gene), qui concrétisent l'état de délire semi-permanent dans lequel baignent les prisonniers.
La jungle est omni-présente, mais n'envahit l'écran que dans la dernière partie de Rescue Dawn, pendant l'évasion proprement dite. Magnifiquement filmée - on retrouve là le rythme et l'ambiance de certains passages d'Aguirre par exemple; on pense également à The Thin Red Line [La Ligne rouge] de Malick - comme Herzog sait le faire.
Reste que ce basculement plus fidèle aux fondamentaux du réalisateur déstabilise le film en l'entraînant vers le genre dit "d'auteur" à partir d'une trame qui suivait jusqu'alors un fil plus hollywoodien.
L'équilibre entre un traitement destiné à un public américain "mainstream" et un plus personnel, et qui jusque-là restait dans l'ombre se rompt au profit du second - à mon avis plus intéressant, bien que cette rupture soit déstabilisante.
Le final marque malheureusement un nouveau virage, cette fois-ci vers le style hollywoodien. Un changement de style compréhensible intellectuellement - désamorçage de possible récupération politique et insistance sur la libération de Dieter - mais à nouveau déstabilisant parce qu'on se dirige là encore vers une réécriture dans la pure tradition américaine.
Cette valse-hésitation entre plusieurs genres nuit hélas à l'unité du tout. Il faut savoir choisir!
* Batman Begins (2005) et The Dark Knight: le Chevalier noir (2008)
Note: 12,5/20