1970, c'est le conflt au Vietnam qui bat son plein aux Etats-Unis, l'hostilité qui y croît et Hollywood qui projette ses visons de la guerre dans des films aussi différents que le classique Patton, la comédie loufoque et noire MASH, ou encore sa rivale Catch-22, qu'on a du mal à ne pas comparer. Une pleiade de vedettes, un réalisateur hors pair - Mike Nichols, à qui l'on doit déjà notamment The Graduate [Le lauréat] et Who's Afraid of Virginia Woolf? [Qui a peur de Virginia Woolf?] - et un ton radicalement différent qui s'attaque au désordre psychologique, à la folie indispensables au déséquilibre mental du combattant moderne.
Une petite île italienne pendant la seconde guerre mondiale, utilisée par les américains comme base pour une de ses escadrilles de bombardiers. Le capitaine Yossarian (Alan Arkin) quitte ses supérieurs après une conversation rendue inaudible par les moteurs des B-25 qui se préparent au décollage.
Un planton en uniforme le suit, sort un couteau et le poignarde avant de fuir, laissant le capitaine au sol.
Alors que les médecins s'affairent pour le sauver, celui-ci revoit, entre délire et souvenirs, les hommes et les évènements qui l'ont conduit sur cette table d'opération. Il y a le colonel Cathcart (Martin Balsam), pourri jusqu'à la moëlle, l'aumonier Tappman (Anthony Perkins), gentil mais impuissant, le lieutenant Milo Minderbinder (Jon Voight), à la tête d'un syndicat ultra-puissant qui transforme cette guerre en entreprise juteuse sans aucun respect pour la vie de ses participants. Ses camarades pilotes (joués entre autres par Art Garfunkel et Martin Sheen), dans l'attente d'un rapatriement. toujours repoussé, voguent entre crises de démence, missions inutiles et permissions qui leur permettent de relâcher la pression, souvent au détriment de la population italienne locale.
Le portrait tiré est sombre mais drôle, et critique vertement l'armée américaine, présentée comme le bras armé d'un capitalisme cupide, amoral et meurtrier. La World Company des Guignols de Canal + une vingtaine d'années plus tôt!
L'unique objectif de Yossarian est de s'échapper de cet enfer avec lequel il ne veut rien avoir à faire. Pour cela il tente de se faire passer pour fou, ce qui ne devrait pas être difficile au milieu de tant de déséquilibrés, voire de psychopathes, mais s'avère malheureusement impossible. En effet, les raisonnements militaires font échouer tout logique qui irait dans ce sens. C'est la signification du Catch-22, qu'on pourrait traduire par truc ou entourloupe-22, règle non écrite et variable équivalente au "supérieur a toujours raison" (au moins en résultat, son enchaînement logique étant plus compliqué à l'origine)
Là où MASH organise une cascade de rire baignant dans un optimisme paradoxal et potache qui installe une distanciation-écran entre le spectateur et la violence de la guerre, Catch-22 plonge ainsi sur plusieurs épaisseurs et ajoute à la farce délirante une folie plus profonde, résultat de la dichotomie entre les valeurs capitalistes de la société américaine et les préceptes moraux justifiant son action.
Sur le terrain, les moteurs de cette folie sont la peur et la cupidité, et son résultat des sophismes psychologiquement destructeurs produits pour légitimer une obéissance aveugle, seul moyen de valider des actions personnelles en contradiction flagrante avec la morale universelle - on retrouve cette idée dans la double-pensée d'Orwell (dans 1984) par exemple.
A l'écran, le discours, beaucoup plus politique donc que celui porté par MASH, est porté par des images fortes nées des délires de Yossirian, où la parabole se mêle à la réalité et permet de faire passer le message.
Les paysages d'une Italie magnifique mais en ruines et livrée à ses nouveaux occupants, le bourdonnement incessant des bombardiers, la brutalité et le chaos généralisés concrétisent la descente aux enfers du pauvre capitaine.
L'humour reste présent mais se fait grimaçant, amer.
Plus difficile à ingérer que MASH, mais aussi plus radical et plus critique envers les fondements du "système" américain, on comprendra aisément que Catch-22 n'ait pas eu le même succès que son contemporain au box office.
N'hésitez pas néanmoins à le visionner, vous passerez un moment mémorable devant ce film devenu culte.
Note: 15/20