Clint Eastwood tente un diptyque original avec ‘Flags of our Fathers ‘ et ‘Letters from Iwo Jima’. Il relate dans ces deux opus la bataille d’Iwo Jima vue des deux parties en présence : américains et japonais.
‘Letters from Iwo Jima’ est la vision japonaise du conflit.
Un américain tente donc de raconter dans un film tourné en japonais (la mode, décidément, est aux sous-titres… cf. l’Apocalypto de Mel Gibson) une guerre pas si vieille que ça à des spectateurs du monde entier, compatriotes et anciens ennemis. Autant dire que l'ancien acteur ne s’attaque pas à une tâche des plus simples.
Difficile en effet pour un réalisateur américain de représenter un combat si célèbre du point de vue d’un adversaire sans risquer le barbarisme.
Ardue également pour un spectateur européen la tentative de juger de la vraisemblance de cette représentation. Les japonais ont nombre de stéréotypes sur le dos, qui rendent cet effort compliqué. Ici on croira voir une caricature dans ce qui n’est que la retranscription de la réalité, et là la lisibilité du scénario, l’incarnation des personnages entraîneront inévitablement des simplifications qui passeront inaperçues parce qu’habituelles pour un occidental, mais pourront choquer un japonais au fait de la chose.
Mais l’histoire, d’abord : Iwo Jima est une île volcanique située à environ 1100 kilomètres au sud de Tokyo. En 1945, une base aérienne nippone s’y trouve qui, si elle est capturée par les américains, leur permettra de bombarder l’archipel ennemi tout à loisir. Etape suivante logiquement de leur progression dans le pacifique, c’est aussi et surtout un symbole fort : première île du territoire japonais à être envahie, sa conquête sera un coup terrible au moral des japonais et fournira aux experts US une évaluation des efforts à fournir pour écraser le pays tout entier. Les deux ennemis sont conscients des enjeux, et feront tout pour en faire un exemple.
Face à l’impressionnante puissance de la machine de guerre américaine, le Japon épuisé rassemble donc 22,000 hommes qui s’enterrent dans l’île. Du 19 février au 25 mars 1945, ils la défendront jusqu’au bout, sans support naval ni aérien, infligeant de lourdes pertes aux marines. Ne resteront que 216 survivants prisonniers à l’issue de combats acharnés.
Eastwood nous fait vivre à la perfection cette bataille par un fil somme toute classique, en suivant plus particulièrement deux personnages, l’un tout en haut de la hiérarchie, l’autre au plus bas. Un troufion plutôt défaitiste et tire-au-flanc, Saigo (Kazunari Ninomiya), boulanger de métier, croisera et recroisera donc l’officier nippon en charge de la défense de l’île, le général Kuribayashi (Ken Watanabe, déjà remarqué dans ‘Memoirs of a Geisha’ et ‘The Last Samurai’), du début à la fin de la narration.
L’action est bien filmée, la guerre présente, les faits relatés avec suffisamment de précision pour éviter les contresens, tout en conservant la vérité historique. Par la qualité de la reconstitution, l’excellent jeu des acteurs, la magie du cinéma opère, et nous réussissons à passer de l’autre côté : nous croire un moment, nous aussi, pris au piège.
Mais au-delà de l’intérêt narratif de la reconstitution, le réalisateur propose d’aller plus loin dans la réflexion. Il nous fait suivre des hommes qui sont dans une situation extrême : ils savent en effet presque depuis le début qu’ils sont condamnés à mourir. Il serait alors facile de tomber dans le culte du héros, comme ils y sont encouragés. Mais dès les premières scènes, les soldats réalisent que la guerre n’est pas belle, et que la majorité des problèmes auxquels ils feront face seront bien terre à terre. Comme si l’ennemi ne suffisait pas, la dysenterie, les ordres contradictoires, les brimades, les stratégies inutilement suicidaires sont autant de dangers supplémentaires pour l’individu qui n’ont rien d’exaltant.
Face à une pression physique et psychologique intense (l’aperçu des méthodes de la police japonaise et de la propagande parle de lui-même), le désespoir des condamnés se traduit par des formes multiples et extrêmes, mais toutes bien humaines. Bêtise, veulerie, arrogance, terreur mais aussi courage, sacrifice, héroïsme anonyme et intelligence sont partout, chez les américains comme chez les japonais. Nous n’assistons plus à l’affrontement d’un pays de gentils contre un autre de méchants, comme les politiciens de chaque bord voudraient le faire croire, mais au déballage d’un vaste échantillon de tentatives d’échapper à une mort annoncée. Ceci, les soldats sur place ne le voient pas malheureusement comme nous. La stupéfaction d’une escouade de japonais ayant capturé un marine blessé est éloquente. Ils s’attendent à un monstre, ils croisent un camarade malchanceux.
Le cinéaste nous montre que dans de telles circonstances, les différences culturelles peuvent voler en éclat, et que non, la vérité humaine, mis à nu, ne découle pas de son drapeau. Ces futurs soldats inconnus, pris dans une nasse de certitudes, de contraintes stratégiques et de fatalité ne sont après tout que des hommes parmi les hommes.
L’intérêt et la morale de l’exercice étaient là : passant par-dessus les vieux antagonismes et les images toutes faites, ce film réussit avec bonheur à nous faire entrer en communion avec l’Autre – démontrant par là même que cet Autre a beaucoup plus de choses en commun avec l’occidental moyen que nous ne l’aurions imaginé.
Encore un pari gagné, Mr. Eastwood ! Et encore une preuve qu'un bon film de guerre ne peut être qu'anti-militariste…
Note : 14,5/20