Lamentable histoire que celle de Titus Andronicus. C'est en tous cas le titre original de la première tragédie de Shakespeare (The Lamentable Tragedy of Titus Andronicus), plus reprise aujourd'hui sous l'appellation Titus Andronicus, et dans ce film de Julie Taymor - apparemment shakespearienne assidue* -, Titus tout court. Réputée pour être la plus sanglante du dramaturge, cette pièce a souvent donné lieu à des débordements dans la violence et l'hémoglobine, mêlant complots, assassinats, viol, mutilations, anthropophagie et meurtre d'enfant. Un monument classique porté à l'écran sur 162 minutes et avec beaucoup de moyens: décors somptueux, stars hollywoodiennes (Anthony Hopkins et Jessica Lange), effets spéciaux... pour une vision qui se veut actualisée de la triste histoire de ce général romain.
Un gamin (Osheen Jones) dans une cuisine joue à la guerre avec ses poupées, ses petits soldats et force ketchup. Le combat s'intensifie, la fenêtre vole en éclats, la pièce s'emplit de fumée et un soldat romain entre et emporte l'enfant au milieu d'une arène où il assiste au défilé du général Titus Andronicus (Anthony Hopkins) et de ses troupes.
Celui-ci revient d'une campagne victorieuse chez les Goths avec un imposant butin, des otages - leur reine Tamora (Jessica Lange), son conseiller maure Aaron (Harry Lennix) et ses trois fils -, et les corps de vingt-cinq de ses propres enfants.
Pour venger ces derniers, et malgré les supplications de Tamora, Titus sacrifie le fils aîné de celle-ci, qui jure avec ses deux derniers rejetons de se venger.
Complots, machinations, assassinats, un cycle infernal d'horreur et de dévastation est lancé qui verra la famille de Titus (ce qu'il en reste) décimée, la cour impériale massacrée et Rome menacée par les barbares sous un déluge de violences assorties de détails toujours plus sordides.
Comme on le voit, la délicatesse et la subtilité ne sont pas vraiment les principaux ingrédients de la pièce.
Premier choc de cette adaptation, son style graphique extrêmement riche. Costumes somptueux, décors majestueux, mélange des époques et des styles, de classique et de kitsch sur couleurs habilement composées. Source de surprise et d'émerveillement constant, manière aussi de tenir le spectateur sur ses gardes, les anachronismes alimentent la curiosité et tissent le lien entre ce Rome rugueux et fantasmatique et le monde d'aujourd'hui.
Les dialogues, toujours un problème dans les adaptations de Shakespeare - comment les rendre abordables à l'anglais ou l'américain moyen sans plomber l'action et donc la place au box office - ont été conservés et la qualité des acteurs est à leur hauteur. Ouf! ... ou bien?
En effet, face à cette pièce, déjà un mastodonte en soi de plus de deux heures et demi, pullulant d'intrigues et de personnages secondaires, l'accumulation de détails, le respect du texte finissent par alourdir la trame. L'allègement aurait - pour une fois - peut-être fait un choix plus judicieux. Une trahison de l'auteur certes, mais pour un résultat plus adapté aux formats de notre temps.
Même Hopkins, qui reprend ici un rôle de fou (encore) et Lange, pourtant des pros, semblent se noyer dans l'amoncellement de rebondissements.
Pour dépasser cette accumulation massive de meurtres, de violences et de crimes de tous ordres et lui donner un sens que l'original n'avait pas nécessairement; pour soutenir également l'intérêt du spectateur et éviter son écoeurement, Julie Taymor a donc tenté d'introduire des mises en perspective de la pièce, ce qui est après tout l'un des rôles d'un metteur en scène.
L'une d'entre elle est placée à l'introduction - le passage du petit garçon dans sa cuisine -, l'autre à la conclusion.
Le message qu'elles transmettent, message tout d'espoir et de paix est hélas dérisoire, simpliste et en pleine contradiction avec celui porté par la pièce - la fin est même en opposition avec la plupart des interprétations de Titus Andronicus. Une intention louable donc, mais qui affaiblit l'oeuvre, dont la violence n'est plus assumée.
D'où le sentiment de ratage qui accompagne le film au fil de sa progression, au contraire d'autres relectures récentes de pièces de Shakespeare (Romeo + Juliet par exemple), pièces il est vrai de meilleure qualité originale que Titus Andronicus. Et ce malgré des qualités picturales indéniables.
Cette fois encore, le mieux sera devenu l'ennemi du bien.
Note:10,5/20
* Les amours de Taymor avec Shakespeare ne sont pas terminées, puisque son oeuvre compte désormais The Tempest (2010)