Souvenez-vous : ‘Le Faucon Maltais’, ‘Les 39 marches’, ‘Laura’, ‘Le Troisième Homme’… autant de références à un parfum lourd, asphyxiant, prégnant, rarement égalé depuis. Celui qui embaume les films d’espionnage et les films noirs des années 30 et 40.
Dans sa dernière œuvre , ‘The Good German’ (en français : ‘l’Ami Allemand’, un mystère de plus dans la série des traductions improbables de titres de films), Steven Soderbergh, réalisateur de longs métrages aussi réussis et divers que ‘Sexe, Mensonges et Vidéo’, ‘Traffic’ et ‘Ocean’s Eleven’, rend hommage à cette époque et tente de nous en faire retrouver les saveurs dans une nouvelle perspective, celle d’une liberté scénaristique inédite alors : oubliées les restrictions du fameux code Hays, qui donnait le la en matière de savoir-vivre sur les écrans américains jusque dans les années 60.
Partir des mêmes ingrédients, suivre les mêmes recettes sur une histoire originale : le résultat est surprenant et déconcertant.
Sur le plan technique, le réalisateur est logiquement revenu aux méthodes de l’Hollywood d’antan, renouvelées à l’occasion avec des remèdes des temps présents. Le spectateur retrouve ainsi le bon vieux noir et blanc, même si le tournage s’est fait en couleurs afin de trouver le grain voulu (méthode déjà employée par Soderbergh dans une de ses co-productions récentes, ‘Good Night, and Good Luck’). Les éclairages diffus, les champs et contre-champs classiques, les balades en voiture avec vieux film en toile de fond… rien à dire là-dessus, les moyens ont été réunis, le travail intelligemment pensé, préparé et exécuté pour espérer pouvoir aboutir à nous faire vivre un excellent moment de nostalgie.
L’intrigue est alambiquée à souhait. L’action se déroule dans le Berlin d’après la chute du Troisième Reich, alors que le Japon attend la Bombe. Le correspondant Jake Heismer (George Clooney) arrive dans une ville dévastée qu’il avait bien connue avant la guerre. Le chauffeur qui lui est attribué, Tully (Tobey Maguire, peu convaincant en GI magouilleur et brutal), se révèle être l’amant d’une allemande que le journaliste a aimé dans le temps, Lena Brandt (Cate Blanchett, femme fatale envoûtante à souhait). Celle-ci tente de survivre dans un pays à l'agonie, au gré de compromissions inévitables, comme elle l’a aussi peut-être déjà fait sous le régime nazi. On pense évidemment à ‘Casablanca’, une des nombreuses références du film.
Sur fond de partage des dépouilles nauséabondes de l’Allemagne par les alliés, Jake est donc conduit à enquêter sur des faits auxquels il ne comprend pas, manipulé par tous, dans un univers où le noir côtoie au mieux le gris.
Un travail aux petits oignons, un scénario qui aurait pu se révéler passionnant, un casting alléchant… Et pourtant l’intérêt ne parvient à décoller que pour retomber quelques minutes plus tard, l’ennui gagne, les voisins s’assoupissent. La sauce ne prend pas.
En effet, trop riche, alourdi par une foultitude de références politiques, historiques et cinématographiques, ces dernières dans des domaines aussi variés que l’émotion, l’espionnage et le policier, le film n’arrive pas à dégager un fil conducteur clair sur lequel le spectateur pourrait se caler.
Les acteurs eux-mêmes, aussi talentueux soient-ils, étouffent sous l’abondance de possibilités de jeu. Leurs personnages hésitent entre prétextes à une leçon d’histoire et de morale, incarnations des héros d’une aventure sentimentale et hommage aux monstres sacrés. A ne pas choisir, ils restent sur place.
Dommage, les composants d’un exercice passionnant de recréation d’un style devenu mythique étaient là. Une opportunité manquée.
D’autres, peut-être moins ambitieux – ou plus lucides –, ont réussi dans cette entreprise, avec une originalité de traitement qui leur a conféré un vrai succès. On pense à des œuvres aussi diverses que ‘Chinatown’, ‘Les cadavres ne portent pas de costards’, ‘LA Confidential’…
Ce film nous donnera au moins envie d’aller les (re)découvrir, tout comme les modèles qui les ont inspirés.