Toshiaki Toyoda est doué pour dépeindre les trajets d'êtres en transition, déboussolés. Il l'avait déjà démontré dans 9 Souls, où il s'intéressait à une bande de prisonniers en cavale. Dans le précédent Aoi Haru [Blue Spring], film devenu culte et sorti deux ans plus tôt, c'est la vie des adolescents dans un lycée japonais qu'on qualifierait facilement d'anti-modèle qu'il racontait. Un milieu idéal composé d'êtres en recherche et en danger chez qui les surprises et les retournements de situation, et donc la matière pour le cinéaste, abondent naturellement.
L'adolescence est un temps d'évolution, d'apprentissage, l'époque de la vie où le garçon mue vers l'homme. Au lycée Asahi, on ne peut pas dire que cet apprentissage se concentre sur les matières académiques.
Les élèves, livrés à eux-mêmes, passent le temps en rivalités, rêvasseries et jeux plus ou moins stupides qui les distraient momentanément d'un déseuvrement permanent.
Parmi ces jeux, il en est un particulièrement risqué qui décide de qui sera le chef des grands, celui que tout le monde révère et dont personne n'oserait croiser le regard, jusqu'au prochain défi qui le détrônera.
Kujo (Ryûhei Matsuda, qu'on aura déjà pu voir dans Taboo, Izo, 4.6 Billion Years of Love, 9 Souls...) en est le dernier gagnant, un peu par hasard. Ses camarades, dont son ami de toujours Aoki (Hirofumi Arai), l'adoptent donc comme chef.
Mais Kujo, comme chacun d'entre eux, est travaillé par des questions auxquelles il n'arrive pas à trouver de réponse facile, et ne trouve pas toujours d'intérêt à entrer dans ce rôle. L'équilibre de la petite bande autour de Kujo, du lycée aussi, bascule alors devant cette absence d'autorité, devant le temps qui passe aussi...
Détrompons tout de suite le lecteur, Blue Spring, bien que tiré d'un manga, n'est pas un film d'affrontements de bandes de jeunes, de série de bagarres pour devenir calife à la place du calife comme peut l'être Crows Zero - qui y est souvent comparé - par exemple. Même si la violence y est présente par intermittence, le schéma narratif ne suit pas celui de l'ascension irrésistible d'un ou plusieurs héros.
Non, la trame se repose sur plusieurs jeunes en tentative de construction, en questionnement existentiel qui peut les faire basculer d'un coup de l'univers de leur enfance à celui d'une vie "réelle" dont ils ne sortiront plus: la mafia, une carrière de sportif international, la prison, le couple, l'horticulture...
C'est le moment où la roue tourne - rendu dans le film par l'image des glaces à bâtonnets "gagnants" ou "perdants" - et où chacun essaie de se déterminer pour le meilleur, le printemps où le bourgeon va, doit - la pression intérieure comme extérieure est forte - éclore.
La plupart ont leurs rêves qu'ils réaliseront ou bien où ils échoueront pitoyablement. Ces derniers devront se résoudre à un triste destin.
Les autres, et ils ne sont pas à envier non plus, n'ont pas de but, de vision, et redoutent le moment où ils devront sortir de cet univers où les règles sont faciles, connues. Comme Kujo, ils peuvent alors lâcher prise et se laisser entraîner dans le flot du monde, ou comme Aoki s'accrocher désespérement aux lois simplistes et dépassées de leur enfance.
Le talent de Toshiaki Toyoda est de faire émerger ces trajectoires clairement et sans fard, de susciter et transmettre les émotions de ses personnages jusque dans leurs plongées éventuelles dans l'absurde et la folie.
La variété de leurs caractères et des situations aidant, avec l'appui de quelques personnages secondaires marquants (parmi lesquels on reconnaît Mame Yamada, l'acteur nain de 9 souls), d'une bande-son très rock et de séquences déstabilisantes rompant l'action en cours, le réalisateur bouscule le spectateur et l'entraîne implacablement vers un panaché déconcertant d'émotions et de sentiments.
Bref, du très bon coming of age.
Note: 15/20