Melville aux commandes, Bébel et Reggiani à la manoeuvre, Piccoli au balcon: Le doulos présente une alléchante affiche pour une bien sombre histoire, une fois de plus située dans les bas-fonds parisiens des années 50-60, univers de prédilection du réalisateur. Pour l'occasion, le scénario, passablement alambiqué, suit la trajectoire glauque et incertaine d'un indic pas comme les autres. Les personnages arborent une face qui ne correspond pas à leur revers, le destin en marche remettra douloureusement les pendules à l'heure: le film noir est toujours vivant.
Maurice Faugel (Serge Reggiani), à sa sortie de prison, tue Gilbert Vanovre (René Lefèvre), receleur et ami, et lui dérobe le butin d'un casse avant d'en préparer un nouveau.
Hélas, quand il passe à l'action, la police est là, manifestement prévenue. Le responsable ne peut être que Silien (Jean-Paul Belmondo), un de ses compères, séduisant en diable, mais aussi réputé pour être un indicateur, un "doulos"...
Melville a cette fois encore construit son oeuvre dans la droite ligne du film noir américain, dont le modèle imprègne le film jusque dans les vêtements et voitures utilisées par les protagonistes.
Le scénario, atout majeur et traditionnel du genre, en suit les canons. Alambiqué à souhait, il égare le spectateur dans l'embrouillamini des motivations et des actions - souvent en opposition avec les intentions affirmées - des personnages.
Assassins candides, gangsters patelins, manipulateurs consciencieux, tous prétendent afficher une conduite en perpétuel décalage avec la réalité. A tel point que le récit, sous peine de devenir totalement hermétique, devra en passer à un point par une laborieuse explication de texte des actions passées des uns et des autres, rare moment de déception devant la maîtrise de Melville.
Autre dimension indissociable du genre, l'éclairage est lui aussi digne des plus grands. Les ombres, portées à leur maximum, sculptent les visages et les silhouettes, construisant des ambiances à couper au couteau. Un terrain vague dans la nuit, une brume flottant atour d'un réverbère: le style épuré ne laisse aucune chance aux indécrottables optimistes, le film sera noir, bien noir.
On pourra regretter que Melville ne se concentre pas sur un seul personnage comme dans Le samouraï ou Bob le flambeur, ce qui aurait facilité la lecture de l'intrigue et l'identification du spectateur, mais la qualité est là.
Stimulés par la complexité des personnages, les acteurs ont la chance de pouvoir développer leur jeu dans des scènes mémorables. Belmondo et Reggiani mènent le bal, mais les seconds rôles sont aussi à la fête, Piccoli et Jean Desailly en tête, sans oublier les femmes, Fabienne Dali et Monique Hennessy, énigmatiques, fatales, melvilliennes à souhait.
Un long interrogatoire de police sans coupe, une scène de bar où les regards comptent plus que les dialogues: les duels sont à la fois feutrés et implacables. Et quand l'action se précipite, rien n'est gratuit.
Sans atteindre la profondeur de Bob le flambeur parce que sans doute trop marqué par une volonté de coller au meilleur du film noir américain et sans personnage central, Melville réussit une fois de plus avec Le doulos à nous raconter une histoire de gangsters, d'hommes, d'amitié et de trahison comme on les aime.
Note: 14/20
Autre film de Jean-Pierre Melville chroniqué dans ce blog:
Bob le flambeur (1956)