Raconter l'ascension sur le trône d'un monarque peut être passionnant pour peu que les obstacles qu'il franchit soient à la mesure de la récompense. Peut-on le tenter pour le prince Albert, futur George VI d'Angleterre et père de l'actuelle reine Elizabeth? C'est ce que tente d'accomplir Tom Hooper dans son dernier long métrage, The King's Speech.
Il faut bien dire que sa tâche n'était pas gagnée d'avance.
En effet, qui était George VI?
Second fils de George V, il vécut une quarantaine d'années en tant que prince Albert dans les pas de père et de son frère aîné Edouard ,jusqu'au couronnement de ce dernier en tant qu'Edouard VIII. Ce dernier voulant épouser une américaine divorcée, Wallis Simpson, déclencha quelques mois plus tard une crise constitutionnelle qui se dénoua avec son abdication, propulsant bon gré mal gré Albert sur le trône en tant que George VI.
Certes, il sera par la suite le roi qui traverse toute la seconde guerre mondiale à la tête de l'Angleterre sans quitter son sol, comme on le lui avait suggéré, mais on est loin des épopées et des thrillers qui font palpiter. George mourra quelques années plus tard de problèmes pulmonaires sans doute liés à ses mauvaises habitudes de fumeur.
Dit comme ça, pas de quoi en faire un fouin. Et pourtant, David Seidler, écrivain américano-britannique et auteur du scénario de The King's Speech, trouvera l'angle d'attaque en apprenant que le prince Albert souffrait de bégaiement (comme lui-même) avant d'être traité par un certain Lionel Logue.
D'où l'intrigue du film: le prince Albert (Colin Firth) a d'énormes problèmes d'élocutions à une époque où le principal média est devenu la radio, où la voix de l'empire Britannique est devenue la BBC, où Hitler conquiert l'Allemagne à force de slogans et de discours. Où la parole d'un homme met les peuples en marche. Après avoir couru nombre de spécialistes, sa femme Elizabeth, la future Reine-Mère (Helena Bonham-Carter), le conduit chez Lionel Logue (Geoffrey Rush), un spécialiste aux méthodes peu orthodoxes pour l'époque.
S'instaurent alors des liens peu communs pour l'époque - et probablement aujourd'hui encore - entre un membre de la famille royale, plutôt guindé et rigide, et un homme proche du peuple qui cherche avant tout à soigner son prochain.
Colin Firth incarne à la perfection ce prince bègue peu sûr de lui-même, formaté pour être numéro deux et rester au chaud dans les palais du royaume, et propulsé contre toute attente au sommet par le biais du hasard ou des circonstances, comme on voudra. Un jeu tout en retenue et en subtilité vraiment remarquable.
Geoffrey Rush et Helena Bonham-Carter sont à la hauteur de leurs personnages: le thérapeute génial bon père de famille qui décoince peu à peu son patient, la femme fidèle et attentionnée qui comprend et souffre à la place de son mari.
Tom Hooper, le réalisateur, suscite et accompagne les émotions avec efficacité. On est pris par l'angoisse en regardant les images d'archives d'Hitler avec la famille royale, devant le stade de Wembley immobile qui attend les quelques mots du prince Albert, on rie devant les exercices imposés au patient.
Et pourtant, malgré cette grande qualité technique, j'avoue rester sur ma faim.
Le résultat est attendu, les personnages stéréotypés et lisses. Pas d'aspérité dans leur caractère, pas de surprise devant leurs réactions. Même le prince Edouard (Edouard VIII, joué par Guy Pearce) tend vers la caricature de l'homme qui suit ses pulsions sans prendre garde aux conséquences.
La progression des rapports entre Albert et Lionel entre dans le très traditionnel cliché british du monarque-bon-mais-coincé-sous-son-armure face à son gentil-peuple-impressionné-devant-son-chef-mais-porteur-des-valeurs-authentiques-qui-font-son-pays. Les politiques de tous bords comme les membres de la famille royale forment un bloc d'une clairvoyance étonnante devant la montée des nazis en Allemagne tout le long du film - ce qui est loin de refléter la réalité. La petite Elizabeth (future Elizabeth II) est très polie, fait la révérence, adore son papa et sa maman. L'Angleterre est unie. Tout le monde a gagné à la fin.
Le spectateur se retrouve sous un gigantesque robinet d'eau tiède certes délicieux mais qui va toujours dans le sens du poil, gommant les aspérités, ne remettant rien en cause, n'apportant que des réponses toutes faites et trop consensuelles à des questions qu'il ne fait qu'esquisser.
Trop beau pour être vrai, trop poli pour être honnête, trop fade pour laisser un goût impérissable.
Une belle mécanique néanmoins reposante qui ravira certainement les foules, qui aiment à être caressées.
Note: 13/20