Good Bye Lenin! et Sonnenallee nous avait replongés derrière le rideau de fer sur le ton de la comédie nostalgique, La vie des autres avait abordé aussi le quotidien des pays de l'Est, toujours en RDA, sur l'air du drame psychologique. Amintiri din epoca de aur [Contes de l'âge d'or], lui, chante la Roumanie de l'ère Ceaucescu et ses couacs par le biais des légendes urbaines locales de l'époque, révélatrices de l'ambiance policière et peu glamour d'alors.
Six histoires (dans la version longue) indépendantes réalisées par différents réalisateur roumains composent la symphonie en question.
La "légende des vendeurs d'air" décrit une arnaque minable mais plus rentable qu'un travail "normal" montée par deux jeunes émules de Bonny and Clyde pour gagner de l'argent.
Celle "du conducteur de poulets" raconte la dérive d'un chauffeur routier détournant une partie de son chargement, détournement qui ne nuit à personne mais est tout de même sanctionné.
"La légende de la visite officielle" se concentre sur les efforts insensés de la population d'un petit village pour se montrer à la hauteur requise face à la visite annoncée de dignitaires.
Dans celle "du photographe du Parti", nous suivons un de ces fameux photographes-maquilleurs confronté aux problèmes soulevés par une rencontre entre Ceaucescu et Valéry Giscard d'Estaing.
"L'activiste du Parti", lui, part dans une campagne de combat incertaine contre l'illétrisme.
Enfin, "la légende du policier avide" montre un de ces fonctionnaires, borné mais sûr de lui, aux prises avec un cochon vivant, réserve de nourriture idéale pour les fêtes mais difficile à trucider en toute tranquillité.
Malgré la multiplicité de regards de tous ces réalisateurs émerge un ton commun qui fournit une agréable cohérence à l'ensemble.
Les travers bien connus des démocraties populaires - toute-puissance du parti, bureaucratisation à outrance, police omniprésente - fournissent, il est vrai, un terrain de jeu idéal à la satire et à un humour feutré dont pas mal de nuances échapperont certainement à des esprits occidentaux peu aux faits de la vie quotidienne des Roumains sous le règne du Conducator. Humour par contre familier aux habitués des satires bureaucratiques venues d'autres pays de l'Est, à la Bulgakov par exemple (voir ou revoir à ce sujet le téléfilm russe Sobachye serdtse [Coeur de chien])
En fond de toile, c'est l'affrontement entre une machine implacable et absurde, et des hommes qui tentent de s'y plier ou de se faufiler entre les mailles du filet pour vivre, vivre tout simplement.
Dans cette optique, les personnages sont tous remarquablement humanisés, du paysan qui se moque complètement des blablas politiques - qui manque de conscience de classe, en bonne langue de bois - jusqu'aux cadres du parti, qu'un retour de balancier peut au bout du compte mettre autant sous pression qu'un modeste quidam.
Dans ce combat de l'homme contre la machine, de la vie contre la peur, le premier ne gagne pas toujours. Tout n'est pas rose, et la police veille. La confiance, entraînant avec elle la fraternité et l'amour, sont les premières victimes de cette bataille (les dernières répliques de "la légende des vendeurs d'air" sont implacables là-dessus)
Mais vaille que vaille, l'humain, même docile, s'étale, déborde. Par la grâce du système D, de la réalité ignorante des discours politiques, d'un cinéma porteur de nouveaux horizons, de la nature hors de la lutte des classes... Et la machine dérape, quand elle ne se prend pas les pieds dans ses propres lacets, pour le plus grand plaisir de tous.
Devant les contorsions élaborées pour échapper à des règles absurdes, on finit immanquablement par se poser la question de ce qui est plausible et de ce qui ne l'est pas.
Hors sujet! Cette question est inhérente à toute bonne légende urbaine qui se respecte.
Qui plus est, présenter ostensiblement ces historiettes comme des légendes de cet "âge d'or" autoproclamé, en plus de désamorcer polémiques stériles et procès en véracité, achève de brouiller les limites entre vérité et fiction, place le film hors du champ du réquisitoire politique, et autorise rire, charme et poésie.
Encore le meilleur moyen de compatir aux malheurs des Roumains des années 70-80.
Note: 16,5/20