L'histoire est pleine de massacres, et le XXème siècle plus que beaucoup d'autres. Difficile de compter les films sur ces trop nombreux évènements, chacun spécifique, chacun avec ses circonstances particulières, mais tous porteurs de l'expression de la douleur de la victime et de l'injustice ressentie face au bourreau. Difficile donc de forger une oeuvre véritablement originale sinon dans les descriptions des particularismes des actes en question. C'est pourtant ce que tente - et réussit - Andrzej Wajda dans Katyn, film personnel ne serait-ce que parce que portant sur l'un des plus grands massacres qu'ait eu à souffrir son pays, la Pologne, et où son propre père perdit la vie.
Pour ceux peu aux faits du contexte, le massacre de Katyn, c'est l'exécution en 1940 de plus de 20.000 officiers prisonniers de guerre et membres de l'élite polonaise par le NKVD (la police politique soviétique) sur ordre de Béria et Staline. D'abord secret, ce meurtre de masse fut découvert et dévoilé par les nazis en 1943, qui en attribuèrent la faute aux russes, tandis que ceux-ci la rejettaient sur les premiers et tentaient d'en maquiller les traces.
L'URSS n'en admit la responsabilité qu'en 1990, c'est à dire 50 ans après les faits.
Le film commence à la fin de la campagne de Pologne. Andrzej (Artur Zmijewski), capitaine polonais, a été capturé par les russes. Sa femme Anna (Maja Ostaszewska) tente de le persuader de s'évader, mais se sentant lié par son serment, il restera avec ses camarades en relatant jour après jour dans son journal son passage de camps en camps, jusqu'à sa fin tragique.
La construction de l'intrigue, réservant comme il se doit les passages les plus forts pour la fin du film - l'apex coïncide logiquement avec les exécutions -, prend le temps de mettre en perspective les évènements, développe les personnages et leur donne profondeur et substance.
Le ton, sobre et réaliste, évite de faire tomber dans l'émotionnel et le film commémoratif.
Le talent de Wajda est de ne pas s'être entièrement focalisé sur une re-création historique détaillée du massacre en lui-même. Certes, le drame de Katyn reste le fond sur lequel évolue les protagonistes, sa reconstitution est assez fidèle à ce qu'on en connait, mais la réflexion se concentre plus sur les incertitudes autour du crime à une période où celles-ci sont légion, sur son utilisation par les propagandes nazies puis soviétiques (dont les images d'archives et les commentaires sont ironiquement similaires), et sur ses conséquences sur une population qui doute, ou qui doit se taire quand elle sait, comme elle devra le faire derrière le rideau de fer pendant les trente et quelques années qui suivront.
Nier leur responsabilité comme l'on fait les soviétiques pendant des dizaines d'années a envenimé les blessures.
Car Katyn n'est pas seulement une tuerie pour les polonais. C'est aussi et peut-être surtout une formidable tentative de maquillage de la vérité où beaucoup tenteront de les transformer les dindons de la farce, un point d'orgue dans l'équilibre impossible qu'ils tentent de préserver. Coincés entre deux ennemis mortels, propulsés victimes idéales quand les compères s'accordent, instrumentalisés par les deux camps avec le même cynisme, le même mépris, ils se trouvent sans fin confrontés à des choix impossibles. Face à un négationnisme d'état qui ne s'arrangera pas avec le gouvernement polonais communiste qui suit.
Se compromettre pour survivre au risque de se perdre, comme le lieutenant Jerzy (Andrzej Chira), ou bien refuser le mensonge, rejoindre la lutte et finir dans la violence mais heureux, comme le jeune étudiant dont le père a disparu à Katyn?
Wajda énonce sa parabole sur une liberté qui, conjuguée à la vérité, est si difficile, mais si vitale. La poursuivre à tout prix présente des risques, mais accepter d'y renoncer ne mène qu'à la mort.
Note: 17/20